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reux, par raport à cette adorable liberté dont il joüit tout seul. Tu vois que nous sommes un millier d’hommes dans nôtre Village, que nous-nous aimons comme fréres ; que ce qui est à l’un est au service de l’autre ; que les Chefs de guerre, de Nation & de Conseil, n’ont pas plus de pouvoir que les autres Hurons ; qu’on n’a jamais veu de quérelles ni de médisances parmi nous ; qu’enfin chacun est maître de soy-même, & fait tout ce qu’il veut, sans rendre conte à personne, & sans qu’on y trouve à redire. Voilà, mon Frére, la diférence qu’il y a de nous à ces Princes, à ces Ducs, &c. laissant à part tous ceux qui estant au dessous d’eux doivent, par consequent, avoir plus de peines, de chagrin & d’embarras.

Lahontan.

Il faut que tu croye, mon cher Ami, que comme les Hurons sont élevez dans la fatigue & dans la misére, ces grands Seigneurs le sont de même dans le trouble, dans l’ambition, & ils ne vivroient pas sans cela ; & comme le bonheur ne consiste que dans l’imagination, ils se nourrissent de vanité. Chaqu’un d’eux s’estime dans le cœur autant que le Roy. La tranquillité d’ame des Hurons n’a jamais voulu passer en France ; de peur qu’on ne l’enfermât aux petites Maisons. Etre tranquille en France c’est être fou, c’est être insensible, indolent. Il faut toûjours avoir quelque chose à souhaiter pour être heureux ; un homme qui sçauroit se borner seroit Huron. Or personne ne le veut