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tes leurs actions, comme indignes de l’homme. Ainsi mes idées sont justes, mes préjugez sont bien fondés, je suis prêt à prouver ce que j’avance. Nous avons parlé de Religion & de Loix, je ne t’ay répondu que le quart de ce que je pensois sur toutes les raisons que tu m’as alléguées ; tu blâmes nôtre maniére de vivre ; les François en général nous prénent pour des Bétes, les Jésuites nous traitent d’impies, de foux, d’ignorans & de vagabons : & nous vous regardons tout sur le même pied. Avec cette différence que nous nous contentons de vous plaindre, sans vous dire des injures. Ecoute, mon cher Frére, je te parle sans passion, plus je réfléchis à la vie des Européans & moins je trouve de bonheur & de sagesse parmi eux. Il y a six ans que je ne fais que penser à leur état. Mais je ne trouve rien dans leurs actions qui ne soit au dessous de l’homme, & je regarde comme impossible que cela puisse être autrement, à moins que vous ne veuilliez vous réduire à vivre, sans le Tien ni le Mien, comme nous faisons. Je dis donc que ce que vous appelez argent, est le démon des démons, le Tiran des François ; la source des maux ; la perte des ames & le sepulcre des vivans. Vouloir vivre dans les Païs de l’argent & conserver son ame, c’est vouloir se jetter au fond du Lac pour conserver sa vie ; or ni l’un ni l’autre ne se peuvent. Cet argent est le Pére de la luxure, de l’impudicité, de l’artifice, de l’intrigue, du mensonge, de la trahison, de la mauvaise foy, & généralement de tous les maux qui sont au Mon-