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timent. Il te fait beau voir me citer la félicité des Hurons, d’un tas de gens qui ne font que boire, manger, dormir, chasser, & pêcher, qui n’ont aucune commodité de la vie, qui font quatre cens lieues à pied pour aller assommer quatre Iroquois, en un mot, des hommes qui n’en ont que la figure. Au lieu que nous avons nos aises, nos commoditez ; & mille plaisirs, qui font trouver les momens de la vie supportables ; il ne faut qu’estre honnête homme & ne faire de mal à personne, pour n’être pas exposé à ces Loix, qui ne sont sévéres qu’envers les scélerats & les méchans.

Adario.

Vraiment, Mon cher Frére, tu aurois beau estre honnête homme, si deux faux témoins avoient juré la perte, tu verrois bien si les Loix sont sévéres ou non. Est-ce que les Coureurs de bois ne m’ont pas cité vint exemples de gens innocens que vos Loix ont fait mourir cruellement, & dont on n’a reconnu l’innocence qu’aprés leur mort. Je ne sçay pas si cela est vray ; mais je voi bien que cela peut être. Ne m’ont-ils pas dit encore (quoique je l’eusse oüi conter en France) qu’on fait soufrir des tourmens épouvantables à de pauvres innocens, pour leur faire avoüer, par la violence des tortures, tout le mal qu’on veut qu’ils aient fait, & dix fois d’avantage. O quelle tirannie exécrable ! Cependant les François prétendent estre des hommes. Les femmes ne sont pas plus exemptes de cette horrible cruauté, & les uns & les autres aiment mieux mourir une fois, que cinquante ; ils ont raison. Que si, par une force de courage