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même foy qu’eux. A l’égard du second lieu de flammes, dont tu parles, & que nous appellons le Purgatoire, ils sont exempts d’y passer, car ils aimeroient mieux vivre éternellement sur la Terre, sans jamais aller en paradis, que de brûler des milliers d’années chemin faisant. Ils sont si délicats sur le point d’honneur, qu’ils n’accepteroient jamais de présens au prix de quelques bastonades. On ne fait pas, selon eux, une grace à un homme lorsqu’on le maltraite en luy donnant de l’argent, c’est plûtôt une injure. Mais les François, qui sont moins scrupuleux que les Anglois, tienent pour une grande faveur, celle de brûler une infinité de siècles dans ce Purgatoire, parce qu’ils connoissent mieux le prix du Ciel.

Or comme le Pape est leur Créancier, & qu’il leur demande la restitution de ses biens, ils n’ont garde de luy demander ses pardons, c’est à dire un passeport pour aller en paradis, sans passer en Purgatoire ; car il leur donneroit plûtôt pour aller à cet enfer, qu’ils prétendent n’avoir jamais esté fait pour eux. Mais nous autres François qui luy faisons une rente assez belle, par la connoissance que nous avons de son pouvoir extréme, & des péchez que nous commettons tous contre Dieu, il faut de nécessité que nous ayons recours aux indulgences de ce saint homme, pour en obtenir un pardon qu’il a pouvoir de nous acorder ; & tel parmi nous qui seroit condamné à quarante mille ans de Purgatoire, avant que d’aller au Ciel, peut en estre quitte pour une seule parole du Pape. Les Jésuites, comme je te l’ai déja dit, t’expliqueront à merveilles le pouvoir du Pape, & l’état du Purgatoire.