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Car il faut que les Péres & les Méres consentent au mariage de leurs enfans.

Or il faut que je veüille ce que ma fille veut aujourd’hui. Car si je prétendois lui donner un autre Mari ; elle me diroit aussi-tôt : Pére, à quoy penses tu ? suis-je ton Esclave ? ne dois-je pas joüir de ma Liberté ? Dois-je me marier pour toy ? Epouzeray-je un homme qui me déplaît, pour te satisfaire ? Comment pourray-je soufrir un époux qui achete mon corps à mon Pére, & comment pourray-je estimer un Pére qui vend sa fille à un brûtal ? Est-ce qu’il me sera possible d’aimer les enfans d’un homme que je n’aime pas ? Si je me marie avec luy, pour t’obeïr, & que je le quitte au bout de quinze jours, suivant le privilege & la liberté naturelles de la Nation, tu diras que CELA VA MAL ; cela te déplaira ; tout le monde, en rira, & peut-être, je seray grosse. Voilà, mon cher Frére, ce que ma fille auroit sujet de me répondre ; & peut-être, encore pis, comme il arriva il y a quelques années à un de nos Vieillards, qui prétendoit que sa Fille se mariât avec un homme qu’elle n’aimoit pas. Car elle luy dit, en ma présence, mille choses plus dures, en luy reprochant qu’un homme d’esprit ne devoit jamais s’exposer à donner des conseils aux personnes dont ils en pourroit recevoir, ni exiger de ses enfans des obéissances qu’il connoît impossibles. Enfin, elle ajoûta à tout cela, qu’il étoit vrai qu’elle étoit la fille, mais qu’il devoit se contenter d’avoir eû le plaisir de la faire avec une femme qu’il aimoit autant que cet-