veux, venait éveiller tout le monde à cinq heures du matin en apportant du café ; on inaugurait ainsi deux semaines de préparatifs pendant lesquelles personne ne pouvait compter sur beaucoup de sommeil. Il s’agissait de brasser la bière de Noël, de cuire le pain et les gâteaux de Noël, de faire le grand nettoyage de Noël…
La voyageuse en était arrivée là, elle se voyait entourée de petits fours sur le point d’être enfournés et de boucs de Noël en pain d’épice, lorsque le cocher arrêta les chevaux au commencement de l’allée de bouleaux, comme elle le lui avait demandé. Elle sursauta, réveillée brusquement. C’était sinistre de se retrouver seule dans la soirée déjà avancée après qu’on s’était vue en rêve entourée de tous les siens. En descendant de la voiture pour monter à pied vers son ancienne maison, la visiteuse fut si angoissée par la différence entre le présent et le passé qu’elle aurait voulu retourner sur ses pas. « À quoi bon revenir ici ? Rien ne peut être comme autrefois », se disait-elle.
Mais puisqu’elle y était, elle pourrait tout de même revoir le vieux domaine ; elle continua son chemin, quoique plus triste à chaque pas.
Elle avait entendu dire que le domaine était très délabré ; il l’était en effet. Mais le soir, on n’en voyait rien : tout lui semblait comme par le passé. Voilà l’étang ; dans sa jeunesse il était plein de carassins que personne n’osait pêcher, son père désirant qu’on les laissât tranquilles ; devant le corps de logis, la cour était toujours semblable à une chambre close sans échappée de vue d’aucun côté, comme du temps de son père qui n’avait pas pu se décider à couper le moindre buisson.