et leva la tête comme pour hurler. Et au lieu de trotter à côté du garde, il resta en arrière ; on voyait qu’une idée désagréable l’avait frappé.
L’été commençait à peine. Les élans venaient de mettre au monde leurs petits, et la veille au soir Karr avait réussi à séparer de sa mère, un jeune élan qui ne pouvait avoir que cinq jours, et à le chasser vers un marais. Là il l’avait poursuivi de tertre en tertre, non pour s’en emparer, mais simplement pour le plaisir de voir sa frayeur. La mère qui savait qu’à cette époque de l’année, peu de temps après le dégel du sol, le marais était sans fond et ne pouvait porter un grand animal comme elle, resta aussi longtemps que possible sur la terre ferme. Mais comme son petit s’éloignait de plus en plus, elle se risqua tout à coup dans le marais, chassa à son tour le chien, rappela son petit et retourna vers la terre. Les élans sont plus habiles que tous les autres animaux à avancer dans les marais et à éviter l’enlisement ; les deux bêtes semblaient sur le point de se tirer d’affaire. Mais arrivées près de la rive, un tertre sur lequel l’élan femelle venait de poser le pied s’enfonça dans la vase et elle le suivit. Elle essaya en vain de reprendre pied et s’embourba de plus en plus. Karr regardait sans oser respirer ; voyant que l’élan était perdu, il se sauva au plus vite. Il comprenait qu’une raclée terrible l’attendait si on découvrait qu’il avait causé la mort d’un élan. Il eut tellement peur qu’il n’osa s’arrêter de courir qu’à la maison.
Telle est l’aventure que Karr venait de se rappeler ; aucun de ses anciens méfaits ne l’avait ainsi affligé. Il n’avait voulu de mal ni à l’élan femelle ni à son petit, mais il était cause de leur mort.