de hauteur. Le constructeur s’est lassé et a abandonné son travail avant d’avoir bâti ces longues pentes, ces pointes et ces crêtes qui forment les murailles et la toiture des montagnes ordinaires.
En compensation, la grande montagne est revêtue d’arbres puissants. De tout temps les chênes et les tilleuls ont poussé dans les vallons, les bouleaux et les aulnes sur les rives des lacs, les pins sur les escarpements, et les sapins partout où il y avait une pincée d’humus. Tous ces arbres forment la grande forêt de Kolmârden, jadis si redoutée que quiconque était forcé de la traverser se recommandait à Dieu et se préparait à sa dernière heure.
Elle était un repaire merveilleux pour les animaux sauvages et les brigands qui savaient grimper, ramper, se glisser à travers les broussailles. Pour les honnêtes gens elle n’était pas attirante : sombre et sinistre, inexplorée et trompeuse, piquante et inextricable, elle avait de vieux arbres qui ressemblaient à des trolls avec leurs troncs moussus et leurs branches couvertes de longues barbes de lichens…
Les hommes jetaient des regards sombres sur la forêt qui, dans sa vigueur luxuriante, semblait narguer leur pauvreté. Ils finirent cependant par s’aviser qu’ils pourraient peut-être en tirer quelque profit. Ils se mirent à l’exploiter, à en extraire du bois, des planches et des poutres et les vendirent aux gens de la plaine qui, eux, avaient déjà abattu leurs arbres. Ils découvrirent que la forêt pouvait les nourrir aussi bien que les champs. Ils furent ainsi amenés à la regarder d’un autre œil. Ils apprirent à la soigner et à l’aimer. Ils oublièrent tout à fait leur vieille hostilité et en arrivèrent à considérer la forêt comme leur meilleure amie.