d’habitude. La loutre ne tourna même pas la tête pour regarder le torrent. C’était une vagabonde, comme toutes les loutres. Elle avait plus d’une fois pêché dans le Vombsjö, et connaissait bien Smirre. « Je sais comment tu t’y prends pour t’emparer par ruse d’une truite, Smirre, dit-elle. — Ah ! c’est toi, Gripe, dit Smirre, très content, car il savait que cette loutre-là était une nageuse hardie et habile. Je ne m’étonne pas que tu n’aimes pas à regarder les oies, puisque tu es incapable d’arriver jusqu’à elles. » La loutre avait les pattes palmées ; elle possédait une queue aplatie et dure, aussi solide qu’une rame, et une fourrure imperméable à l’humidité ; elle ne voulut pas s’entendre dire qu’il y eût un torrent qu’elle ne pût remonter. Elle se tourna vers la rivière, aperçut les oies, jeta la truite et, de la berge escarpée, se précipita dans l’eau.
Si le printemps avait été plus avancé et que les rossignols eussent été de retour dans le parc de Djupadal, ils auraient célébré pendant de longues nuits la lutte de Gripe avec le torrent. Car la loutre fut plusieurs fois entraînée par les vagues et emportée au fil de l’eau, mais elle remonta opiniâtrément. Elle profitait des remous, rampait par-dessus les pierres et approchait peu à peu des oies sauvages. C’était vraiment une expédition périlleuse, et qui méritait d’être chantée par les rossignols.
Smirre suivait du regard la marche de la loutre. Il la vit enfin se hisser tout près des oies sauvages. Mais à ce moment un cri aigu et féroce retentit. La loutre tomba dans l’eau à la renverse, et le courant l’emporta comme un chaton aveugle. Puis les ailes des oies claquèrent. Elles s’enlevèrent, et s’enfuirent à la recherche d’un nouveau gîte.