Mais lorsque Smirre eut enfin rejoint le gîte des oies, il se rendit compte qu’elles avaient trouvé une place où il ne pourrait les atteindre.
La rivière de Ronneby n’est pas un cours d’eau grand et puissant, mais elle est renommée pour ses beaux rivages. À diverses reprises elle passe entre des falaises abruptes qui surplombent l’eau et disparaissent sous le chèvrefeuille, les aubépines, les aulnes, les sorbiers et les saules ; et rien n’est plus agréable que de ramer sur la petite rivière sombre par un beau jour d’été, et de regarder toute cette molle verdure qui s’accroche à la falaise.
Mais en ce moment, c’était encore l’hiver ou le tout premier printemps, froid et gris ; tous les arbres étaient nus, et personne ne songeait à regarder si la rive était belle ou laide. Les oies sauvages s’estimèrent heureuses d’avoir trouvé sous la haute falaise une petite bordure de sable assez large pour qu’elles pussent s’y poser. Devant elles, la rivière bruissait, torrentueuse et forte par suite de la fonte des neiges ; derrière elles le rocher à pic était infranchissable, et des branches d’arbres pendantes les abritaient et les cachaient. Elles n’auraient pu trouver mieux.
Les oies s’endormirent instantanément, mais Nils ne put fermer les yeux. Dès que le soleil avait disparu, la frayeur des ténèbres et l’épouvante de la nature sauvage l’assaillaient et lui donnaient la nostalgie des hommes. Caché sous l’aile du jars, il ne pouvait rien voir, il entendait très mal, et il avait peur que quelque chose n’arrivât au jars sans qu’il pût l’avertir du danger. Des bruissements et des murmures lui arrivaient confusément de tous côtés ; enfin l’inquiétude le poussa à se dégager de l’aile et à s’asseoir par terre à côté des oies.