la porte du balcon s’ouvrit, et un flot de lumière jaune passa à travers les fins et légers rideaux. Une belle jeune femme apparut et se pencha au-dessus de la balustrade. « Il pleut, nous aurons bientôt le printemps », dit-elle. Quand Nils l’aperçut, il éprouva une étrange angoisse ; il crut qu’il allait pleurer. Pour la première fois il s’affligeait de s’être retranché de l’humanité.
Il passa ensuite devant une boutique. Il y avait devant la porte une semeuse mécanique rouge. Il s’arrêta à la regarder, grimpa sur le siège du cocher, et s’y assit. Installé là, il fit claquer ses lèvres et fit semblant de conduire. Il pensa qu’il serait amusant de conduire une si belle machine dans un champ de blé. Il avait un instant oublié sa condition présente, mais bientôt il s’en ressouvint ; alors il sauta brusquement à terre. Il était de plus en plus inquiet : à combien de choses ne devait pas renoncer celui qui vivait toujours parmi les animaux ? les hommes étaient vraiment étonnants et habiles.
Il passa devant la poste, et pensa à tous les journaux qui apportent quotidiennement des nouvelles des quatre coins du monde. Il vit la maison du pharmacien, celle du docteur, et pensa que les hommes étaient assez puissants pour lutter contre la maladie et la mort. Il arriva à l’église, et se dit que les hommes l’avaient élevée pour y entendre parler d’un autre monde, de Dieu, de résurrection et de vie éternelle. Plus il allait, plus il aimait les hommes. Il eut peur de ne pouvoir plus jamais recouvrer sa première forme. Comment faire pour redevenir homme ? Il escalada un perron, s’assit sous les torrents de pluie, et réfléchit. Il demeura là une heure, deux heures, si absorbé que des rides plissaient son front.