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dit que le renard lui avait communiqué ses ruses et le loup sa vitesse. S’ils se mettaient à l’affût dans une ferme, l’animal damné ravageait la ferme voisine ; s’ils le cherchaient dans la forêt, il était en train de courir après le paysan qui traversait en traîneau la glace du lac. On n’avait pas idée d’un plus insolent voleur : il se glissait dans les greniers, vidait les cruches de miel de la fermière et, au sortir de l’écurie, tuait le cheval du fermier.

Et l’on comprit pourquoi Gösta n’avait pas pu tirer sur lui. Ce n’était pas un ours ordinaire. Il ne fallait certes pas songer à l’abattre, si l’on n’avait, dans le canon de son fusil, une balle d’argent mêlé d’un peu de bronze, de bronze volé à une cloche d’église. Encore cette balle devait être fondue un jeudi soir, par la nouvelle lune, sous le clocher, et sans que le pasteur, ni le sacristain, ni personne en eût connaissance. Une telle balle tuerait l’ours à coup sûr ; seulement, il n’était pas facile de la trouver.

À Ekebu, il y avait un homme qui en perdait le boire, le manger et le dormir : Anders Fuchs, le tueur d’ours. Le major Anders Fuchs n’était pas un bel homme : il avait le corps lourd et grossier, le visage rouge et large, des joues pochées et un triple menton. Ses noirs cheveux se dressaient rudes et drus, et sur sa lèvre épaisse ses moustaches noires se hérissaient, raides comme poils de porc. Ajoutez à cela une humeur taciturne et, en temps ordinaire, un appétit d’ogre. Il n’était pas de ceux que les femmes reçoivent, les bras ouverts, avec de clairs sourires ; et il ne leur souriait pas non plus. Et, s’il attendait avec impatience la nouvelle lune, croyez bien que ce n’était pas pour l’associer à ses rêveries, mais uniquement pour fondre à sa clarté la fameuse balle d’argent.