Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui dormaient dans leur vieille et haute demeure du Gurlita, leurs enfants couchés auprès d’eux. Cette fois encore il échappa, culbutant tout ; mais il reçut dans la hanche une balle qui le rendit boiteux pour le reste de ses jours. Et, la nuit, quand il revint à sa tanière, la neige y était rougie du sang de sa compagne. Et les enfants royaux avaient disparu, les hommes les ayant ravis afin d’en faire leurs esclaves.

Le sol tremble ; le monceau de neige s’ébranle et s’éparpille ; il sort, le grand Ours, le vieil ennemi des Cavaliers. Attention, Fuchs ; attention, Bérencreutz, et gare à toi, Gösta Berling !

Gösta Berling reste immobile, le doigt sur la gâchette, pendant que la bête s’avance droit sur lui. Pourquoi ne tire-t-il pas ? À quoi songe-t-il, lui qui est admirablement posté pour décharger son fusil dans ce large poitrail ? Ah, ces héros d’amour ! Gösta songe peut-être à sa belle Marianne malade et couchée dans une chambre d’Ekebu. Et, le grand Ours, borgne de ton coup de couteau, Bérencreutz, boiteux de ton coup de fusil, Anders Fuchs, soucieux, hirsute, solitaire, se dirige lourdement de son côté. Mais Gösta le voit tel qu’il est : une pauvre bête traquée. Et, moitié par pitié, moitié par insouciance, il s’écarte et présente railleusement les armes à l’énorme vétéran qui continue son chemin et s’enfonce dans l’épaisseur de la forêt avec une crépitation de rameaux cassés. Fuchs et Bérencreutz, qui attendaient que Gösta tirât, grondent et sacrent ; Gösta rit de tout son cœur.

Le grand Ours de Gurlita échappa donc, et les paysans apprirent bientôt qu’on l’avait réveillé de son sommeil d’hiver, car nul ours n’était plus habile à crever le toit de leurs basses étables et à éviter les pièges. Autour du Leuven on ne savait que devenir, et les gens envoyaient message sur message aux Cavaliers. Et, tout le mois de Février durant, les Cavaliers se rendirent au nord du Leuven et chassèrent l’Ours sans jamais l’atteindre. On eût