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La terreur est une sorcière assise dans le crépuscule des forêts et qui chante ses funestes runes. Comme un serpent enroulé, la nature est mauvaise. Voici le lac de Leuven qui étale sa merveilleuse beauté : ne vous y fiez pas. Il lui faut chaque année son tribut de cadavres. Voici la forêt dont la douce paix vous attire : ne vous y fiez pas. La forêt est hantée de bêtes et de maléfices. Ne croyez pas à la limpidité du ruisseau : si vous le traversez après le coucher du soleil, il vous donnera la maladie et la mort. Ne croyez pas au coucou qui chante le printemps : à l’automne il se métamorphose en épervier aux yeux perçants et aux griffes sinistres. Ne croyez pas à la mousse, à la bruyère, au rocher : la nature est méchante, habitée de forces invisibles qui haïssent l’homme. Elle ne nous offre pas une seule place où nous puissions mettre le pied avec sécurité. La terreur est partout.

Est-elle encore assise dans les forêts du Vermland ? Obscurcit-elle toujours la beauté de ces contrées souriantes ? Y chante-t-elle toujours ses runes diaboliques ? Son pouvoir y fut naguère illimité, et je le sais, moi qui vous parle, je le sais ! On mit de l’acier dans mon berceau, des braises dans l’eau de mon premier bain, et j’ai senti plus d’une fois sa main de fer sur mon cœur.

L’histoire suivante n’est pourtant pas bien terrible : ce n’est que la vieille histoire de l’ours de Gurlita.

Le grand Ours a sa demeure sur le beau pic appelé Gurlita qui se dresse escarpé, presque inaccessible, au bord du lac de Leuven. Les racines d’un pin abattu par levent, et qui gardent leur ciment de terre et de mousse, forment le toit et le fond de sa tanière ; des branches la recouvrent, et la neige la crépit. Il y peut dormir un bon sommeil