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Les yeux restaient toujours attachés au visage de la Commandante. Celle-ci comprit le danger et soupçonna, en voyant Marianne, que l’amour avait joué son rôle dans cette aventure.

— Merci de votre aide, dit-elle calmement à ses paysans et à ses domestiques. Ne craignez rien : nul de vous ne sera inquiété pour les événements de cette nuit. Rentrez chez vous. Je ne veux pas être la cause d’une blessure ou d’une mort. Rentrez, et merci.

Ils s’attardaient cependant.

— Allons, venez ! reprit-elle, venez, mes chers enfants. Dieu protège Ekebu ! Pour moi, il faut que je monte vers le nord.

Puis, regardant Marianne dans les yeux :

— Ah, Marianne ! Quand Ekebu sera ruiné et le pays dévasté, songe à cette nuit et prends soin des malheureux.

Et elle sortit, suivie de toute la foule.

Quand le Commandant arriva, il ne trouva dans la cour que la jeune fille et une longue rangée de véhicules piteux attelés de piteuses rosses, mais moins piteuses encore que leurs étranges conducteurs. Marianne détachait leurs liens et les voyait détourner leurs yeux et se mordre les lèvres. Jamais ils n’avaient senti pareille humiliation.

— Ah ! leur murmurait la jeune fille, je ne valais pas mieux, lorsque j’étais tout à l’heure agenouillée dans la neige de Björne !

Je ne dirai point comment les vieilles voitures rentrèrent sous le hangar, ni les chevaux dans l’écurie, ni les Cavaliers dans l’aile du manoir. L’aurore commençait à poindre au-dessus des montagnes de l’Ouest. Mais vous saurez que, lorsque les Cavaliers eurent regagné leur chambre et y eurent retrouvé assez de punch pour remplir leurs verres, un subit enthousiasme les saisit.

— Vive la Commandante ! crièrent-ils. Vive la Commandante !