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— J’oserai, coquin ! Crois-tu que j’oublie tes crachats, quand tu me rencontrais sur la route ? N’ai-je pas été déjà tentée tout à l’heure de vous enfumer ? Est-ce que tu as levé la main pour me défendre, lorsque je fus chassée de mon foyer ? Allons, jure, jure !

Et la Commandante paraît si redoutable, bien que peut-être elle s’y force un peu, et tant d’hommes armés de haches les entourent, qu’ils sont obligés de jurer. Alors on va quérir leurs habits et leurs coffres, et on relâche les cordes dont leurs mains sont liées, juste assez pour y insérer les rênes.

Cependant Marianne était arrivée à Siœ. Le Commandant n’est pas de ces hommes qui font la grasse matinée. Elle le trouva au milieu de sa cour, qui revenait de donner leur déjeuner à ses ours. Il ne répondit guère à ce qu’elle lui raconta ; mais il se dirigea vers la cage de ses bêtes, les musela, les prit à la laisse et s’achemina vers Ekebu.

Marianne, épuisée de fatigue, se traînait derrière lui. Là-bas, du côté des forges, une gerbe de flammes jaillit et la remplit d’épouvante. Quelle nuit fantastique ! Un homme bat sa femme et laisse mourir son enfant dans la neige ; une femme entreprend de brûler ses ennemis, et le vieux Commandant mène des ours contre ses propres gens ! La jeune fille fit un suprême effort, dépassa ses compagnons et courut vers le manoir.

À son entrée dans la cour, elle se fraya un passage à travers la foule, et, quand elle fut près de la Commandante, elle s’écria :

— Le Commandant ! Le Commandant ! Il vient avec ses ours !

Ce fut une grande stupeur, et tous les regards se tournèrent anxieux vers l’ancienne maîtresse d’Ekebu.

— Fuyez ! Pour l’amour de Dieu, fuyez ! cria Marianne. Je ne sais à quoi pense le Commandant. Mais il a ses ours, tous ses ours avec lui !