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les rats et les insectes ont dévoré les dossiers et les coussins.

« Reposons-nous ! disent les vieilles voitures. Nous avons été assez secouées et nous avons essuyé assez d’averses. Qu’il est loin, le temps où nous portions notre jeune maître à son premier bal, et où nous poursuivions gaîment les chemins ruisselants de la saison printanière ! »

Et leur tablier de cuir se fend, les cercles des roues se détachent. Personne n’y touche, et elles tombent en poussière. Une fois par an, le hangar s’ouvre et livre passage à une nouvelle camarade qui s’établit à Ekebu ; et, dès que les portes se referment, la paresse, la lassitude et la décrépitude s’emparent de cette dernière venue. Les rats, les mites se jettent sur elle, et les vrillettes et les insectes que leurs petits coups secs dans le bois qu’ils rongent font appeler la montre de la mort.

Mais voici qu’en cette nuit de Février les portes du hangar se sont ouvertes à deux battants. À la lueur des lanternes et des brandons, on cherche les voitures et les traîneaux qui appartiennent aux Cavaliers présents à Ekebu : la carriole de Bérencreutz, le traîneau d’Orneclou, l’étroit cabriolet dont la capote abrita le cousin Kristoffer. Il importe peu que ce soit véhicule d’été ou véhicule d’hiver, pourvu que chacun retrouve son bien.

Et dans l’écurie on les réveille tous, les pauvres vieux chevaux des Cavaliers, qui sommeillaient devant leurs râteliers pleins. Vos songes sont redevenus réalités ! Vous éprouverez de nouveau, braves coursiers, les montées dures et escarpées, et le foin moisi de l’auberge, et le fouet du maquignon, et les glissades effrénées sur les pentes le verglas !

Les vieilles voitures prennent une figure cocasse, lorsque de petits chevaux du nord sont attelés à un haut carrosse, et d’osseux et longs chevaux de cavalerie à des traîneaux de course. Les bêtes caduques s’ébrouent et grimacent, quand on enfonce le mors dans leur bouche édentée ; les voitures décrépites grincent et geignent. Quelle lamentable