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milieu, les cartes gisent maculées d’eau-de-vie, les Cavaliers dorment derrière leurs rideaux à carreaux jaunes.

Et dans l’écurie, devant des râteliers pleins, les chevaux des Cavaliers dorment et rêvent aux aventures de leur jeunesse. Quand on n’a plus rien à faire, il est doux de rêver. On revoit les courses rapides au retour de la messe de Noël, les voyages à la foire, les nuits passées à la belle étoile et les marchés où l’on trottait sous les yeux de l’acheteur, pendant que le conducteur, penché hors de la voiture, vous hurlait des jurons dans l’oreille. Oui, rêver est très doux, quand on sait qu’on ne quittera plus les râteliers bondés et les stalles tièdes des écuries d’Ekebu.

Le vieux hangar délabré, où l’on remise les carrosses en ruine et les traîneaux cassés, renferme une étrange collection d’anciens véhicules. Il y en a de peints en vert ; il y en a de peints en rouge ; il y en a de peints en jaune. On y trouve la première carriole norvégienne que vit le Vermland, ramenée comme un trophée de guerre en 1814 par Bérencreutz ; les espèces les plus bizarres de voitures à un cheval ; des charrettes, des chariots, des guimbardes, des cabriolets et des tapeculs dont la caisse repose sur des ressorts en bois ; tous les vieux instruments de torture qui ont roulé sur les grandes routes. Il y a là le long traîneau où tiennent les douze Cavaliers, et le traîneau à capote du frileux cousin Kristoffer et le traîneau de famille d’Orneclou avec sa peau d’ours rongée des mites et son écusson à demi effacé ; et les traîneaux de course, ah ! que de traîneaux de course !

Nombreux sont les Cavaliers qui ont vécu et qui sont morts à Ekebu. Leur nom est oublié sur la terre. Ils n’ont plus de place dans le cœur des hommes. Mais la Commandante a gardé les misérables véhicules qui les ont amenés chez elle. Ils dorment tous, sous le hangar, ensevelis chaque jour par une poussière plus épaisse. Les clous et les vis lâchent le bois pourri ; la peinture s’écaille ;