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vont tout abîmer. Pourquoi ma maîtresse abandonne-t-elle son domaine à ces fous de Cavaliers ?

Alors la Commandante souleva un store et lui montrant la cour :

— Est-ce moi qui t’ai appris à pleurer et à geindre ? Regarde : la cour est remplie de mes gens : demain il ne restera plus un seul Cavalier à Ekebu.

— Ma maîtresse reviendra-t-elle ?

— Non, pas encore. La grande route est mon refuge : une gerbe de paille, mon lit. Mais tu soigneras Ekebu pendant mon absence, ma fille.

Elles passèrent dans une autre pièce et poursuivirent leur promenade.

Ni l’une ni l’autre ne savait que la chambre des invités était occupée. Marianne y avait été furtivement introduite par Gösta Berling. Et les paroles de la Commandante la tirèrent du demi-sommeil où son âme chantait silencieusement un hymne à l’amour.

La jeune fille comprit qu’un complot s’était tramé contre Gösta et les Cavaliers, ses sauveurs. Dès que les pas se furent éloignés, elle rassembla ses forces, se leva, s’habilla, reprit encore une fois la robe de velours et les souliers de bal, s’enveloppa d’une chaude couverture et de nouveau s’élança dans la nuit semée d’étoiles et âprement froide. Elle ne permettrait pas que des hommes qui l’avaient recueillie fussent ignominieusement chassés. Elle irait avertir le Commandant Samzélius à Siœ. Mais la route était longue : il fallait se hâter.

Quand la Commandante eut enfin dit adieu à toute la maison, elle sortit dans la cour où ses gens l’attendaient. Elle les plaça en cercle autour de l’aile fameuse, la citadelle des Cavaliers.

Dans la grande pièce aux murs blanchis à la chaux, où s’alignaient des coffres peints en rouge, où, sur la table du