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Il en sentit à peine la légère pression ; mais Marianne crut avoir exprimé son amour dans une étreinte étouffante.

Bérencreutz les aperçut. Il laissa courir le cheval à sa guise sur cette route familière, et, levant ses yeux vers le ciel, discret, il s’absorba dans la contemplation de la Pléiade.

CHAPITRE VI
LES VIEILLES VOITURES

Or, la vieille Commandante, qui parcourait le pays avec la besace et le bâton du mendiant, avait décidé cette nuit-là de chasser les Cavaliers qui soignaient son beau domaine comme le vent soigne les cendres, le soleil d’avril les monceaux de neige, et les grues le blé du printemps.

Parfois ils la rencontraient, au cours de leurs promenades, lorsque, six ou sept dans un long traîneau, ils fouettaient leurs bêtes carillonnantes et agitaient leurs rênes tressées ; mais, loin de baisser les yeux, ces furieux de superstition la menaçaient de leurs poings fermés, et Fuchs, le tueur d’ours, n’oubliait jamais de cracher trois fois devant lui pour écarter le mauvais œil. Ce n’est pas la première fois, hélas ! que des gens ont été cruels par peur de la damnation ! Le soir, quand, se levant de table, ils s’approchaient des fenêtres et regardaient si les étoiles étaient montées dans le ciel clair, ils apercevaient souvent une ombre qui traversait la cour et ils devinaient que c’était elle, la sorcière. Et ils riaient très haut pour ne pas trembler. Ces pauvres aventuriers, que Sintram avait affolés de ses maléfices, ne comprenaient pas que leur âme n’avait jamais couru de plus grands périls ! Quant à la Commandante, elle n’éprouvait pas trop de