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reuse caravane, aux grelots sonores, n’alla pas loin. Devant la porte de Bjorne, ils aperçurent la belle Marianne couchée dans son lit de neige. Bérencreutz alluma sa lanterne de corne et en dirigea les lueurs sur le visage pâle et bleuissant de la jeune fille. Et les Cavaliers virent ses mains sanglantes et les larmes gelées au bord de ses cils. Gösta se rua contre la porte de la maison inhumaine, puis il se jeta à genoux en gémissant :

— La voici, mon épousée ! Elle m’a donné le baiser des fiançailles et j’ai gagné la bénédiction de son père !

Et, soulevant cette forme inanimée :

— À Ekebu ! À Ekebu ! cria-t-il. Elle est à moi, maintenant. Je l’ai trouvée sur cette froide couche : personne ne me la ravira. Qu’ils dorment, s’ils le peuvent, ici ! Que ferait-elle derrière ces portes où ses mains se sont meurtries et ensanglantées ?

Il porta Marianne dans le premier traîneau et s’assit à côté d’elle. Bérencreutz, debout, saisit les rênes :

— Prends de la neige, Gösta, et frotte-la ! ordonna-t-il.

Le froid avait paralysé les membres de la jeune fille, mais son cœur violemment agité battait encore. Elle n’avait pas même perdu la conscience de ce qui se passait. Seulement, raide et engourdie, sous les soins énergiques et sous les larmes de Gösta, elle éprouvait un infini désir de lever la main et de lui faire un geste de caresse. Tous ses souvenirs se dessinaient dans son esprit avec une singulière netteté. Il lui sembla qu’elle aimait Gösta Berling depuis longtemps, très longtemps. Naguère elle souhaitait de pouvoir aimer ; elle soupirait après la passion qui la délivrerait de ses réflexions obstinées sur elle-même. Et la passion était venue, et le baiser à Gösta avait été le premier instant de sa vie où elle avait pu s’oublier. Alors une âpre joie lui serra le cœur, à l’idée que sa famille l’avait chassée. La cruauté de son père lui épargnait toute hésitation. Elle se donnerait à son vainqueur. Et Gösta vit deux bras qui lentement se levèrent et se joignirent autour de son cou.