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— Ouvre-moi ! Ouvre-moi !

— Ton père l’a défendu, mon enfant. Va chez le fermier et prie-le de te donner un lit, cette nuit. Ton père est ivre. Il te tuerait. Va.

— Mais tu ne veux pas que j’aille chez des étrangers ! Comment peux-tu souffrir qu’on me ferme les portes ? Je me jetterai dans la neige pour mourir, si tu ne me laisses pas entrer.

Alors la mère mit la main sur la serrure ; mais, au même instant, une voix dure l’appelle du haut de l’escalier. Elle se sauve. Marianne entend des pas précipités, et le bruit, l’horrible bruit d’un soufflet. Alors elle s’affaissa sur le seuil, et, secouée d’âpres sanglots, elle gémit :

— Grâce, père ! Grâce !

Mais, bientôt, la colère la redressant, elle heurta le lourd battant de sa main sanglante et cria à pleine gorge :

— Écoute ce que je te dis, toi qui bats ma mère ; tu pleureras ! Tu pleureras, Melchior Sinclair !

Et, rejetant sa pelisse, elle s’étendit sur un monceau de neige, dans sa robe de velours noir, et elle songea avec une joie sauvage que le lendemain, dès ses premiers pas hors du logis, son père la trouverait là, morte et vengée.

À Ekebu, les invités étaient partis ; les domestiques remettaient tout en ordre. Seuls, dans l’aile du manoir, les Cavaliers faisaient cercle autour du dernier bol de punch. Et Gösta porta un toast aux délicieuses et incomparables femmes du Vermland. Ses paroles excitèrent un tel enthousiasme que les Cavaliers comprirent que leur nuit ne serait pas complète s’ils ne rendaient pas un suprême hommage à celles dont les joues roses et les yeux limpides avaient si doucement réjoui les murs du vieux manoir. On résolut d’aller leur donner, à chacune d’elles, une sérénade sur la neige étoilée. Même l’oncle Eberhard et le frileux cousin Kristofler se mirent de la partie.

En un clin d’œil les traîneaux furent attelés, mais l’amou-