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Le maître de forges Melchior Sinclair était rentré dans sa maison et en avait fait fermer les portes à son unique enfant. Les domestiques reçurent l’ordre de ne pas sortir de la cuisine, et sa femme de ne pas s’aventurer hors de sa chambre. Quiconque ferait le premier pas pour ouvrir, il le tuerait.

Le vieux Melchior était ivre, entêté de vin et plus entêté de fureur. S’il avait eu sa fille sous la main, il aurait vu rouge. Ainsi donc, cette enfant qu’il avait adorée, couverte de bijoux et de soie, cette enfant, son orgueil, sa gloire, s’abandonnait impudemment à un Gösta Berling ! Elle aimait un prêtre défroqué : elle affichait même son amour. Et lui, l’imbécile, il avait joué sa bénédiction ! Il la donnerait, sa bénédiction, mais sa porte resterait close.

La jeune fille continuait de frapper et suppliait qu’on lui ouvrît. La froide nuit étoilée, les immenses champs de neige, la solitude infinie, tout semblait dormir en paix et en tranquillité, sauf ce petit point vivant où tant d’angoisse et d’horreur se concentraient.

Sa mère ne quitterait donc pas son lit ? Des vieux serviteurs qui avaient conduit ses premiers pas, nul n’accourrait donc à son secours ? Quel crime avait-elle commis ? Et, en eût-elle commis un, où serait-elle venue implorer son pardon, si ce n’est à cette porte, à cette porte terriblement sourde ?

— Père, père, ouvre-moi ! Je gèle. C’est épouvantable ! Mère, pourquoi dors-tu ?

Rien ne répond. Personne ne se soucie de sa détresse. La longue maison sombre avec ses fenêtres obscures et ses portes closes reste effrayante et muette.

— Père, implore-t-elle, père, que vais-je devenir ! Je serai déshonorée.

Elle sanglote : mais voici qu’elle perçoit un léger bruit de pas dans le vestibule.

— Est-ce toi, mère ?

— Oui, mon enfant.