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Cette dernière danse était folle, avec je ne sais quoi de farouche. Des couples était pâles ; d’autres plus rouges que du feu. La poussière planait sur eux comme une fumée ; les chandelles grésillaient au fond des chandeliers, et, au milieu de cette dévastation fantasmagorique, Gösta et Marianne volaient et tournoyaient, les yeux énamourés, ivres du vertige de la danse et de leur étreinte et de sa volupté.

Melchior Sinclair les regarda d’un œil sombre, puis brusquement, tournant le dos, claquant les portes, il descendit l’escalier qui retentit sous son pas furieux, et, sans mot dire, il regagna son traîneau où sa femme l’attendait, et asséna un si violent coup de fouet à son cheval que la bête partit ventre à terre.

Marianne avait vu son père. Elle s’échappa des bras de Gösta qui voulait l’entraîner encore et courut au perron. On lui dit que ses parents venaient de quitter le manoir. Elle ne manifesta aucune surprise. Elle s’habilla en silence, et, pendant qu’autour d’elle, au vestiaire, tous croyaient que son traîneau l’attendait, frissonnante, les pieds dans de minces souliers de satin, elle s’élança sur la route. Personne ne l’y reconnut ; personne ne pouvait se douter que cette forme humaine, que les traîneaux en passant rejetaient dans les monceaux de neige, était la belle et triomphante Marianne Sinclair.

Elle courait, puis ralentissait sa course pour reprendre haleine et courait encore. Une horrible angoisse étreignait son cœur.

D’Ekebu à Bjorne, il n’y a guère plus d’une demi-lieue. Mais, quand elle fut chez elle, toutes les portes étaient fermées, toutes les lumières éteintes. La jeune fille se demanda d’abord si ses parents étaient rentrés. Elle frappa deux coups à la grande porte et secoua la poignée de la serrure. Lorsque ses doigts lâchèrent le fer qu’ils étreignaient, leur peau gelée se déchira.