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— Eh bien, s’écria-t-il, si tu gagnes son consentement, je te joue sur cette carte ma bénédiction.

La partie commença. Le maître de Bjorne perdit.

— On ne lutte pas contre la déveine ! dit-il.

Minuit avait sonné : les joues des danseuses pâlissaient, les boucles se défrisaient sur leur tête et les volants des robes étaient froissés. Du coin des canapés, les vieilles dames se levèrent et sonnèrent la retraite. Alors Lilliécrona saisit son violon et joua la polska des adieux. Les chevaux piaffaient devant la porte : les dames mettaient leur pelisse et leur capuchon ; leurs maris avaient déjà noué la ceinture de voyage sur leurs fourrures de loup. Mais la jeunesse, rentrée au salon, ne pouvait s’arracher de la danse. Les robes, relevées sous les gros manteaux, recommencèrent à tourner, et, dès qu’un cavalier quittait sa dame, un autre la prenait et l’entraînait. Gösta Berling, songeur et triste, fut emporté dans le tourbillon. Mais quelle était donc la danseuse dont le corps souple et léger l’enveloppait de flamme ? Ah, Marianne !

Pendant que Gösta dansait avec Marianne, Sintram était déjà assis dans son traîneau, et, à côté de lui Melchior Sinclair, impatient, frappait des pieds et se battait les flancs pour ne pas geler.

— Tu n’aurais peut-être pas dû jouer Marianne à Gösta, dit Sintram.

— Quoi ?

Sintram saisit les rênes et leva le fouet avant de répondre.

— Les baisers, tu sais, n’étaient point dans la pièce.

Le rude Melchior brandit un poing terrible, mais Sintram était déjà loin. Il fouettait furieusement son cheval, sans oser même se retourner, car Melchior Sinclair avait le bras lourd et la patience courte.

Le maître de Bjorne rentra alors dans la salle de bal pour y chercher sa fille, et il aperçut Gösta et Marianne.