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Il sentit le corps de la jeune fille frissonner et ses lèvres se glacer.

— N’ayez pas peur, chuchota-t-il : de belles lèvres ont le droit de baiser.

Ils demeurèrent immobiles, et chaque fois que le rideau se leva et que des centaines d’yeux les regardèrent, des centaines de mains battirent à tout rompre.

Enfin Marianne et Gösta se retrouvèrent seuls. Elle passa plusieurs fois la main sur son front.

— Je ne me comprends pas moi-même, fit-elle.

— En effet, dit-il, embrasser Gösta Berling, fi donc !

Marianne se mit à rire.

— Chacun sait que Gösta Berling est irrésistible. On me pardonnera…

Mais au moment où ils allaient entrer dans la salle :

— Vous me promettez, dit-elle, qu’on ne saura rien ?

— Assurément. Les Cavaliers sont discrets : je réponds d’eux.

Elle baissa les paupières et un étrange sourire plissa ses lèvres.

— Et si on le savait cependant, que penserait-on de moi ?

— Sans doute on penserait que cela n’a aucune importance. Nous étions dans nos rôles.

— Mais vous-même, qu’en pensez-vous ? reprit-elle avec le même sourire.

— Que vous êtes éprise de moi, apparemment.

— N’en croyez rien, dit-elle en riant ; sinon je me verrai forcée de vous détromper à l’aide de ce poignard castillan.

— Les baisers que vous donnez coûteraient cher, alors.

Les yeux de Marianne lancèrent un rapide éclair.

— Je voudrais, murmura-t-elle avec une rage sourde, que Gösta Berling fût mort, mort, mort !

— Et moi, répliqua-t-il amèrement, je voudrais que vos paroles eussent le pouvoir de me tuer.

— Quels enfantillages ! dit-elle en lui prenant le bras