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Dans le grand salon d’Ekebu, transformé en théâtre, les cent invités regardaient sur la scène la lune jaune de Séville cheminer à travers un ciel obscur. Un amoureux furtif s’arrête sous un balcon tout enguirlandé de lierre. Il est habillé en moine, mais sous sa manche de bure on distingue une manchette de dentelles, et la pointe d’une épée relève le bas de son froc. Il chante et Marianne paraît au balcon en robe de velours noir.

Elle répond ironiquement à sa sérénade ; mais voici que le moine rejette son déguisement, et Gösta Berling, tout soie et or, escalade le balcon et se jette à ses pieds. Alors elle lui sourit et lui donne ses mains à baiser, et, pendant que les deux jeunes gens se contemplent enivrés, le rideau tombe. Ils étaient si beaux à voir au clair de lune que le rideau dut remonter plusieurs fois.

Marianne a des cheveux blonds ; et ses prunelles d’un bleu sombre luisent sous des sourcils noirs, et Gösta lève sur elle des yeux qui brillent tout ensemble d’espièglerie et de tendresse, des yeux qui mendient et qui persuadent. Le rideau était retombé : Marianne se pencha et ses lèvres se posèrent sur celles du Cavalier. Il jeta les bras autour de cette tête adorable et la retint. En vérité, elle n’était pas coupable : les seuls coupables, c’étaient le balcon, le clair de lune et le tonnerre mourant des applaudissements.

Par malheur, le débonnaire Lövenborg, qui avait toujours les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres, avait été commis au soin de relever et de baisser le rideau. C’était un homme que ses souvenirs obsédaient et qui ne comprenait rien aux choses de la vie. Quand il vit la nouvelle pose de Gösta et de Marianne, l’innocent crut que c’était un second tableau et, bravement, tira la corde.

Les deux jeunes gens furent arrachés à leur extase par le tumulte des applaudissements. Marianne tressaillit et voulut se sauver, mais Gösta lui murmura :

— Restez tranquille : on va croire que c’est dans la pièce.