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visages. Il y avait la jeune comtesse Dohna, gaie, pétillante, avide de plaisirs, comme il seyait à ses vingt ans — et les belles jeunes filles du juge de Munkerud — et les insouciantes demoiselles de Berga. Il y avait là Anna Stiernhœk, plus ravissante encore depuis que la nuit, où elle fut chassée par les loups, avait estompé sa fière beauté d’une tendre mélancolie. Et il y en avait aussi d’autres, dont le souvenir s’efface dans la mémoire des hommes. Et il y avait Marianne Sinclair.

Elle avait daigné venir à la fête des Cavaliers, cette illustre Marianne qui avait brillé dans les châteaux et même aux bals du Roi. Les joyeux enfants de Vermland, quand ils énuméraient leurs sujets d’orgueil, n’oubliaient jamais de la nommer. Les victoires de ses yeux étaient la gloire du pays. On parlait des couronnes de comte qui avaient plané sur sa tête, des millions que ses petits pieds avaient repoussés et des épées flamboyantes qui s’étaient vainement inclinées devant elle.

En Vermland, dans ce pays des ours, elle ne passait que peu de temps. Son père, le riche Melchior Sinclair, restait avec sa femme à Bjorne et, fier de l’argent que dépensait son adorable fille, vivait heureux à l’ombre de ses triomphes. Elle traînait après soi un flot de courtisans et se vantait de n’avoir jamais connu l’amour. Elle avait aimé cependant, mais ces feux de joie n’étaient point de ceux où se forgent les chaînes de toute une existence. Sa présence dans un salon semblait aviver l’éclat des lustres et précipiter les accords des musiciens. Ses lèvres… Ah ! ne parlons pas de ses lèvres ! Elles ne voulurent point le baiser qu’elles donnèrent. Ce fut la faute du balcon, du clair de lune, du voile de dentelles, des costumes et des violons.

Toute cette histoire qui causa tant de malheurs avait été très innocemment préparée. Le patron Julius, désireux d’embellir la fête et de fournir à Marianne une occasion particulière d’y briller, avait imaginé des tableaux vivants.