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également trahie. Tu étais belle, le péché si doux et Gösta Berling si facile à tenter ! Mais, Anna, depuis que j’ai vu leur joie, je ne veux plus, non, je ne veux plus te garder. Par toi je serais devenu peut-être un homme, mais je ne peux pas te garder ! Ô ma bien-aimée, quelqu’un se joue de nos désirs et de nos volontés. Il faut plier. Dans cette maison, tout dort sur la foi de ta tendresse. Dis que tu resteras chez eux, que tu te feras leur aide et leur soutien. Si tu m’aimes, s’il te plaît d’alléger ma lourde peine, promets-le moi. As-tu le cœur assez ferme pour te vaincre toi-même et sourire dans ta victoire ?

— Oui, s’écria-t-elle avec exaltation, oui ! je me sacrifierai et je sourirai.

— Et tu n’en voudras pas à mes pauvres amis ?

— Tant que je t’aimerai, répondit-elle mélancoliquement, je les aimerai.

— De cette heure seulement, soupira-t-il, je comprends ce que tu vaux. Il m’est dur de te quitter.

— Adieu, adieu, Gösta ! Mon amour ne t’induira pas en péché.

Elle fit quelques pas vers la porte. Il la suivit.

— M’oublieras-tu vite ?

— Adieu, Gösta, adieu ! Pars ! Nous ne sommes que de faibles créatures humaines.

Il se jeta dans son traîneau, mais alors elle courut à lui.

— Tu ne songes pas aux loups ?

— C’est à eux que je songe, au contraire. Ils ont fait ce qu’ils devaient faire et n’ont plus rien à faire avec moi, cette nuit.

Il lui tendait les bras, mais Don Juan impatient partit au galop. Gösta saisit les rênes, le visage encore tourné vers celle qu’il abandonnait. Puis sa tête tomba sur le bord du traîneau et ses larmes coulèrent.

— Oh ! j’ai eu le bonheur entre les mains et je l’ai repoussé, repoussé moi-même. Pourquoi ne l’ai-je pas gardé ?