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— Il y va de notre vie ! s’écria-t-elle en agrippant Tancrède par la peau du cou.

— Laisse ! Laisse ! répondit-il. Ce n’est pas pour le chien que les loups chassent cette nuit.

Et, d’un coup brusque, il fit virer son traîneau et le lança sur la montée de Berga, harcelé par les bêtes exaspérées qui sentaient cette fois leur proie leur échapper.

— Anna, dit-il, en mettant le pied sur les marches de l’escalier, Dieu ne le veut pas. Si tu es la femme que je crois, tu feras bonne contenance.

On avait entendu les grelots et tout le monde sortait de la maison.

— Il l’a ! criaient-ils. Il l’a ! Vive Gösta Berling !

Et on les reçut de bras en bras.

On ne leur fit pas beaucoup de questions : la nuit était avancée, et les voyageurs brisés de leur aventure. Anna était revenue : on n’en demandait pas davantage. Seules, Corinne et l’écharpe restaient aux dents des loups.

Toute la maison dormait. Gösta se leva, s’habilla et se glissa dans la cour. Il tira Don Juan de l’écurie, l’attela, et il allait partir quand Anna apparut.

— Je t’ai entendu, dit-elle : je me suis levée. Me voici prête à te suivre.

Il s’approcha d’elle et lui prit les deux mains.

— Tu ne comprends donc pas encore que Dieu ne le veut pas ? Écoute : j’ai dîné ici, j’ai vu leur désespoir à cause de ta trahison, je suis parti pour Berga afin de te ramener à Ferdinand. Mais je n’ai jamais été et ne serai jamais qu’un misérable. J’ai voulu te garder. Il y a ici une pauvre fille qui supporte toutes les privations et qui s’en console à l’idée de mourir au milieu d’amis : je l’ai