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— As-tu peur ? demanda-t-il.

— Non, mais ils comptent nous couper le passage au tournant de la route.

Et, Don Juan galopant, Tancrède hurlant d’épouvante, ils atteignirent le tournant en même temps que les loups. D’un coup de fouet Gösta écarta le premier.

— Ah, Don Juan, mon garçon, fit-il, comme tu leur échapperais, si tu n’avais pas à nous traîner !

Il attacha sa ceinture verte au fond du traîneau et la laissa pendre afin de les effrayer. En effet, les loups ralentirent leur course, mais, quand ils eurent surmonté leur étonnement, l’un d’eux, suivi bientôt des autres, s’élança, la gueule béante. Alors Gösta saisit la Corinne de Madame de Staël et la lui jeta. Les deux jeunes gens eurent un instant de répit pendant que les bêtes s’acharnaient sur cette proie. Puis de nouveau ils entendirent tout près d’eux des respirations haletantes. Et pas de maison avant Berga ! Leur était-il possible de revoir ceux qu’ils avaient trompés ? Le cheval se fatiguait. Que deviendraient-ils ?

À l’orée du bois, le logis de Berga leur apparut, avec des lumières aux fenêtres. Gösta savait pour qui on les avait allumées : il ne le savait que trop ! Les loups, flairant le voisinage des habitations, obliquèrent ; et le traîneau, dévorant l’espace, laissa derrière lui la demeure illuminée. Mais à l’endroit où le chemin s’enfonce dans la forêt, les jeunes gens aperçurent un groupe sombre : les loups étaient là, postés, et les attendaient.

— Retournons au presbytère, dit Gösta : nous alléguerons une promenade au clair de lune.

Ils rebroussèrent chemin, repassèrent devant Berga, mais derechef la route leur fut barrée par des formes aux dents blanches et aux yeux de braise. Les loups affamés sautèrent sur le cheval et s’accrochèrent aux harnais. Anna se demanda si Gösta et elle n’allaient pas être dévorés ou si l’on ne retrouverait pas le lendemain leurs membres épars sur la neige sanglante.