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un vieillard sa grande fortune et son beau visage ; et elle fit tapisserie pendant plus de dix danses.

À la onzième, un homme, le plus humble des humbles, avec qui personne ne voulait danser, se glissa vers elle et l’invita.

— Plus de brioche, dit-elle, en avant le pain dur !

On joua aux gages. Les jeunes filles rapprochèrent leurs têtes blondes et chuchotèrent. Anna se trouva condamnée à embrasser celui qu’elle aimait le plus. Les malicieuses s’attendaient à voir la fière beauté embrasser le vieux Dahlberg. Mais elle se leva et, superbe de colère, demanda :

— Ne puis-je pas aussi bien souffleter celui que j’aime le moins ?

Au même instant la joue de Gösta brûla sous la paume de sa petite main ferme. Il devint d’un rouge de braise. Mais il se domina et, saisissant le poignet de la belle jeune fille, il lui murmura :

— Dans une demi-heure, en bas, au salon ; vous m’attendrez.

Et sous les yeux bleus du jeune homme qui l’emprisonnaient d’un regard magique, elle se sentit contrainte d’obéir.

Une demi-heure plus tard, elle se tenait devant lui, droite et âpre :

— En quoi mon mariage regarde-t-il Gösta Berling ?

Il ne voulut ni lui parler doucement ni prononcer encore le nom de Ferdinand.

— Était-ce donc un châtiment trop dur que de te faire languir pendant une dizaine de danses, toi qui as manqué à tes promesses et violé tes serments ? Si un homme meilleur que moi avait eu la punition dans ses mains, il te l’aurait infligée plus sévère.

— Mais qu’avez-vous tous contre moi ? s’écria-t-elle. Que ne me laissez-vous en paix ? Vous me poursuivez à