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Mais peut-être te réjouis-tu de jouer aux cartes avec le vieux Dahlberg ?

Elle ne répondit rien, et ils gardèrent le silence jusqu’à la côte escarpée de Borg.

— Merci du voyage ! dit-elle. Il est à parier que beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant que je remonte dans le traîneau de Gösta Berling.

— Merci de la promesse ! J’en connais plus d’un qui regretta le jour où il te conduisit à une fête.

La reine de la commune entra d’un air revêche dans la salle du bal et promena ses regards sur les groupes d’invités. Elle vit d’abord Dahlberg, petit et chauve, à côté de Gösta Berling, élancé et dont la tête était encadrée de beaux cheveux blonds. Elle aurait voulu les mettre tous les deux à la porte.

Son fiancé se hâta vers elle et l’invita à une danse, mais elle le reçut du haut de son dédain.

— Vous voulez danser ? Depuis quand dansez-vous ?

Les jeunes filles lui apportèrent leurs félicitations.

— Pas de comédie ! fit-elle. Vous savez fort bien qu’on ne peut s’éprendre du vieux Dahlberg ; mais il est riche, je suis riche ; nos deux fortunes s’accordent.

Les vieilles dames vinrent lui presser les mains et lui parlèrent du plus grand bonheur de la vie.

— Félicitez donc Mme la Pasteur, répondit-elle ; car son contentement est encore plus vif que le mien.

Cependant Gösta Berling, le gai Cavalier, était salué avec joie par tout le monde, à cause de son sourire jeune et frais et de ses belles paroles qui semaient de la poussière d’or sur la trame grise de la vie. Jamais Anna ne l’avait vu tel qu’il était ce soir-là. Ce n’était pas un homme rejeté de la société, un proscrit, un bouffon sans foyer : c’était un roi, un roi de naissance.

Les autres jeunes gens se conjurèrent contre elle. On la laissa réfléchir au crime qu’elle commettait en donnant à