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capricieuse et volontaire, se laissa emporter par le noir Don Juan.

Les deux jeunes gens restèrent d’abord silencieux. Enfin Anna, provocante rompit le silence.

— Gösta sait-il par hasard ce que le pasteur a publié ce matin, dans l’église ?

— A-t-il dit que tu es la plus belle jeune fille entre le Leuven et le Klarelf ?

— Grand fou ! Cela, personne ne l’ignore. Non ! Il a publié nos bans au vieux Dahlberg et à moi.

— Si je l’avais su, tu peux être assurée que je ne t’aurais pas installée là, dans mon traîneau, — moi, debout pour te conduire !

L’orgueilleuse héritière répondit avec mépris.

— Je serais probablement arrivée au bal sans Gösta Berling.

— C’est grand dommage pour toi, Anna, reprit Gösta, que tu n’aies plus ni père ni mère. Il faut te prendre comme tu es. On ne te changera pas.

— C’est encore plus dommage que tu ne m’aies pas dit tout à l’heure ces belles choses : je me serais fait conduire par un autre.

— Il est évident que la femme du pasteur le pense aussi et qu’elle a cherché quelqu’un qui remplaçât ton père, sans quoi elle n’eût pas songé à t’atteler avec une vieille haridelle.

— Ce n’est pas la femme du pasteur qui a décidé mon mariage.

— Quoi, tu aurais choisi toi-même un si bel homme ?

— Il ne me prend pas pour l’argent, lui !

— Non, les vieux ne courent qu’après les yeux bleus et les joues roses : ils sont si gentils !

— N’as-tu pas honte, Gösta ?

— Et surtout mets-toi bien dans la tête que tu ne dois plus t’amuser en compagnie des jeunes gens. Plus de danses ! À toi la place tranquille au coin des canapés !