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foyers étrangers. La capitaine caressa son fils ; sa douce caresse lui rappelait qu’il est un amour dont on n’a jamais à craindre de trahison.

Mais Gösta Berling tournait et retournait déjà mille projets dans sa tête.

— Écoutez, s’écria-t-il, ce n’est pas le moment de s’abandonner au désespoir. Le coup vient sûrement de la femme du pasteur de Svartsiœ. Elle a pris de l’ascendant sur Anna depuis que celle-ci demeure au presbytère. Mais le mariage n’est pas fait. Toi, Ferdinand, reste ici. Je vais à Borg et j’y verrai Anna. Je lui parlerai ; je l’arracherai de la maison du pasteur, et, s’il le faut, des bras de son vieux fiancé. Et cette nuit même je vous l’amènerai ici.

Gösta partit donc seul, accompagné de tous les vœux. Sintram, réjoui du tour qu’on allait jouer à Dahlberg, résolut de rester à Berga pour assister au retour de l’infidèle, et, dans un accès de bienveillance tout à fait inaccoutumé, il ceignit la pelisse de Gösta de sa propre ceinture, une ceinture de voyage verte, cadeau de Mlle Ulrika.

La capitaine sortit sur le perron et tendit au jeune homme trois petits livres reliés en rouge.

— Prends-les, dit-elle, prends-les, si tu ne réussis pas. C’est Corinne, la Corinne de Mme de Staël : je ne veux pas qu’ils soient vendus.

— Je réussirai.

— Ah Gösta, Gösta, dit-elle, en lui passant la main sur la tête découverte, le plus fort et le plus faible des hommes ! Combien de temps te souviendra-t-il que tu tiens dans ta main le bonheur de quelques pauvres gens ?

Et de nouveau, traîné par le noir Don Juan et suivi du blanc Tancrède, Gösta vola sur la grande route. Et l’allégresse de l’aventure emplissait son âme.

Le chemin passait devant le presbytère de Svartsiœ : il monta l’allée et demanda qu’on lui permît de mener au bal Anna Stiernhœk. Ce fut accordé. Et la belle fille,