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nos caves. Les champs poussent de l’or dont nous dorons la pauvreté de la vie, et nous abattons nos forêts pour construire des pavillons de jardin et pour faire des jeux de quilles.

La capitaine murmura dans un soupir :

— Poète !

— Bien des péchés me pèsent sur la conscience, répondit Gösta, mais je n’ai jamais commis le moindre vers.

— Tu es poète quand même, Gösta. Tu n’échapperas pas à cette injure ! Tu as vécu plus de poèmes que nos poètes n’en ont écrit.

Et la capitaine se mit à lui parler tendrement, comme une mère, de sa vie si follement gaspillée.

— Je vivrai assez, je l’espère, dit-elle, pour te voir devenir un homme.

Gösta trouvait très doux d’être grondé et exhorté par cette amie fidèle et romanesque dont le cœur s’enflammait à tous les beaux récits et à toutes les grandes actions.

Quand ils en eurent fini avec la viande salée au raifort et les choux et les gâteaux et la bière, et que les histoires de Gösta les eurent fait tour à tour rire et pleurer, des grelots carillonnèrent dans le cour, et le méchant Sintram entra.

Il suait le contentement, de l’extrémité de son crâne chauve jusqu’à ses longs pieds plats. Il balançait ses bras démesurés et grimaçait. On ne pouvait s’y tromper : Sintram apportait de mauvaises nouvelles.

— Avez-vous ouï dire, demanda-t-il, qu’aujourd’hui les bans ont été publiés à l’église de Svartsiœ entre Anna Stiernhœk et le riche Dahlberg ? Elle a dû oublier ses fiançailles avec Ferdinand.

Personne n’en avait rien su. Ferdinand pâlit. Son père vit déjà la maison dévastée, et les chevaux vendus et vendus les vieux meubles que la capitaine avait hérités de ses parents. Le jambon d’ours réapparaîtrait sur la table, et les jeunes filles seraient obligées d’aller chercher une place à des