Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tin au soir, il fallait trotter et se démener, et l’on n’arrivait que péniblement à joindre les deux bouts. Songez donc que, tout un hiver, on n’avait eu d’autre viande que du jambon d’ours ! Quant à être payée de sa peine, elle ne s’y attendait guère ; elle n’avait jamais encore vu la couleur de ses gages : mais du moins, quand elle ne pourrait plus gagner sa pitance, on ne la jetterait pas sur la grande route. On avait de la considération même pour une gouvernante, dans cette famille-là ; et, si seulement on avait de quoi acheter la bière, elle était sûre d’un bel enterrement.

— Car, ajouta-t-elle, en essuyant ses yeux toujours si prompts à se mouiller, qui sait comment les choses tourneront ? Nous devons de l’argent au méchant Sintram. Il pourra tout saisir, ici, tout vendre. Il est vrai que Ferdinand est fiancé à la riche Anna Stiernhœk, mais elle se fatiguera de lui ! Et qu’adviendra-t-il alors de nous, avec nos trois vaches, nos neuf chevaux, et nos gaies jeunes demoiselles qui ne songent qu’à danser, et nos champs maigres où rien ne pousse, et notre bon Ferdinand dont on ne fera jamais un homme ? Que deviendra cette maison bénie, où tout se plaît, sauf le travail ?

Bientôt l’heure du dîner sonna et les membres de la famille se réunirent. Le bon Ferdinand, le fils de la maison, et les gaies jeunes filles étaient revenus avec le raifort emprunté. Le capitaine rentra, frais et dispos, après un bain involontaire dans l’eau glacée du marais, et une chasse à travers la forêt. Il ouvrit les fenêtres toutes grandes pour avoir de l’air, et secoua fortement la main de Gösta. Puis la capitaine arriva, en robe de soie ; et de larges dentelles tombaient jusque sur ses mains que Gösta eut la permission de baiser.

— Eh bien, lui demanda-t-on en riant, comment allez-vous à Ekebu, là-bas, dans la Terre Promise ?

— Le lait et le miel y coulent, répondit-il. Nous épuisons le fer des montagnes et nous remplissons les barriques de