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de zibeline. Son traîneau fut recouvert d’une peau d’ours aux griffes d’argent et les valets y attelèrent l’orgueil de l’écurie, le noir Don Juan. Gösta siffla son blanc Tancrède et saisit les longues rênes tressées. Et il partit ainsi, dans ce splendide équipage, lui dont l’esprit et la figure jetaient d’eux-mêmes un assez vif éclat.

C’était un dimanche matin. Il entendit le son de l’orgue et des psaumes en passant devant l’église de Bro ; puis il suivit le solitaire chemin des bois qui mène à Berga, où il comptait dîner chez le capitaine Uggla.

La maison des Uggla ne respirait guère l’opulence. Les soucis d’argent connaissaient bien la porte de cette pauvre demeure au toit de tourbe. Mais on y était reçu avec de bons sourires et des rires et des chants et des jeux, et on ne s’en éloignait qu’à contre-cœur.

La vieille demoiselle Ulrika Dillner, la gouvernante qui s’occupait du ménage, s’avança sur l’escalier et souhaita la bienvenue à Gösta. Elle lui fit une grande révérence, et les fausses papillotes, qui descendaient des deux côtés de son visage brun et ridé, se mirent à frétiller de joie.

Quand elle l’eut introduit dans la salle, Mlle Ulrika commença de lui parler des maîtres de céans et des incidents de leur vie. Les temps étaient durs : on manquait même de raifort pour la viande salée du dîner. Ferdinand et ses sœurs avaient été obligés d’atteler, et d’aller en emprunter à Munkerud. Le capitaine, lui, était parti à la chasse et rapporterait sans doute un vieux lièvre coriace qui coûterait son pesant de beurre. Voilà ce qu’il appelait ravitailler la famille ! Et encore pourvu que le lièvre ne soit pas un renard, car chacun sait que, mort ou vif, le renard est la plus détestable bête que notre Seigneur ait créée. Et la capitaine ? Elle n’était pas levée. Elle lisait des romans dans son lit, comme tous les jours. sûrement elle n’avait pas été mise au monde pour travailler, cet ange du bon Dieu. Le travail, cela convenait à une vieille femme toute grise, comme elle, Ulrika. Du ma-