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femme. Comme le Commandant ne pouvait se défaire de cet infâme héritage ni le dilapider lui-même, il ne trouva rien de plus sûr, pour en consommer la ruine, que d’y installer les Cavaliers en seigneurs et maîtres.

Plus superstitieux que jamais, les Cavaliers, hantés des prédictions de Sintram, se crurent engagés d’honneur à gaspiller ces richesses. Quant à Gösta, nul ne sut ce qu’il pensait. Se sentait-il délié de toute reconnaissance envers la Commandante qui l’avait fait cavalier d’Ekebu ? N’eut-il pas préféré la mort à la torture de porter sur la conscience le suicide d’Ebba Dohna ? Mais son chagrin, quel qu’il fût, ne se marquait jamais aux traits de son visage, et ses lèvres n’en disaient rien.

CHAPITRE IV
LES LOUPS

Grand bal à Borg. En ce temps-là un jeune comte Dohna, nouvellement marié, habitait le domaine de Borg. La comtesse était jeune et belle : la soirée promettait d’être charmante, au vieux manoir. Les Cavaliers reçurent une invitation, mais le seul Gösta Berling eut envie de s’y rendre.

Borg et Ekebu sont séparés par le lac de Leuven. Quand le lac est gelé, c’est une affaire de quatre ou cinq lieues. Pour cette fête le pauvre Gösta fut équipé comme un fils de roi qui aurait à soutenir l’honneur d’un royaume. Les Cavaliers le revêtirent d’un habit neuf aux boutons brillants et d’un jabot de dentelles. On le chaussa d’escarpins. Il endossa une pelisse du plus beau castor et enfonça sur sa tête aux cheveux blonds un superbe bonnet