Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Melchior Sinclair, dont la femme a senti plus d’une fois la lourde main, prends garde ! Et toi, prêtre de Brobu, songe que le châtiment est inévitable. Capitaine Uggla, surveille ta maison : la pauvreté l’assiège. Et vous autres, jeunes femmes, Élisabeth Dohna, Marianne Sinclair, Anna Stiernhœk, ne pensez pas que je serai la seule à fuir. Et gare à vous, Cavaliers ! La tempête passera sur le pays et vous balaiera. Je ne me plains pas, mais je pleure sur le pauvre peuple. Qui lui donnera du travail, quand je n’y serai plus ?

Elle ouvrit la porte, mais alors le capitaine Christian leva la tête et dit :

— Pardonne-moi, Margareta Celsing ! Un seul mot de pardon et je combats pour toi.

La Commandante hésite. Va-t-elle lâcher contre son mari cette force aveugle et brutale ?

— Tu veux que je te pardonne ? répond-elle enfin. N’es-tu pas la cause de mon malheur ? Retourne chez les Cavaliers, Christian Bergh, et réjouis-toi de ton œuvre.

Et elle sortit, laissant l’épouvante derrière elle.

Ce fut ainsi qu’elle tomba, non sans grandeur. On ne la vit point s’abandonner à un lâche désespoir. Mais l’amour de sa jeunesse bouillonnait encore dans ses vieux ans. Elle ne craignit point de parcourir le pays avec la besace et le bâton. Elle s’apitoya seulement sur la misère de ses paysans, sur l’insouciance de ses hôtes, sur tous ceux qu’elle avait protégés, nourris et soutenus. Enfin, trahie de tous, elle eut le courage de détourner d’elle son dernier ami, afin de lui épargner peut-être une action criminelle.

Le lendemain, le Commandant Samzélius quitta Ekebu et s’en fut habiter son propre domaine à Siœ, tout près de là.

Le testament d’Altringer stipulait qu’aucune des forges ne serait vendue ni aliénée. À la mort du Commandant, elles devaient passer à sa femme ou aux héritiers de sa