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À ce moment suprême, la Commandante se tourna vers les Cavaliers.

— Permettrez-vous qu’on me chasse de ma maison, Cavaliers ? Vous ai-je ménagé la bière et l’eau-de-vie ? Les fêtes et les plaisirs n’ont-ils pas été votre pain quotidien ? Non, vous ne souffrirez pas que cet homme m’expulse !

Pendant qu’elle parlait, Gösta s’est glissé jusqu’à la grande table et se penche vers une belle jeune fille aux cheveux sombres :

— Tu étais souvent à Borg, Anna, il y a cinq ans, dit-il. Sais-tu si ce fut la Commandante qui apprit à Ebba Dohna que j’étais un prêtre défroqué ?

— Aidez la Commandante, Gösta, répond-elle.

— Je veux d’abord savoir si elle a fait de moi un meurtrier.

— Quelle étrange idée ! Aidez la Commandante, Gösta !

— Tu ne veux pas me répondre, je le vois. Sintram m’a dit la vérité.

Gösta retourne à sa place, indifférent, au milieu des Cavaliers que les pensées de la nuit harcèlent et que la fureur aveugle.

— On voit bien que son contrat n’a pas été renouvelé, murmura l’un d’eux.

— Au diable, la sorcière ! crie un autre.

— Imbéciles, s’exclame l’oncle Eberhard, on croirait sur ma foi que vous n’avez pas reconnu le Diable de cette nuit !

— Si ! répond le patron Julius. Mais qu’importe ? Sintram est le suppôt du Diable.

La Commandante comprend qu’elle n’a rien à espérer de cette bande épouvantée et tumultueuse. Elle recule de nouveau vers la porte ; mais, la main sur la poignée de la serrure, elle se retourne encore.

— Ah, traîtres, s’écrie-t-elle, votre heure sonnera bientôt ! Vous serez dispersés et votre place restera vide. Toi,