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— Hors d’ici ! continue le Commandant. Va mendier ton pain sur les routes. Tu ne jouiras pas des richesses de ton Altringer. Hors d’ici ! Tu n’es plus rien, et, si tu remets les pieds à Ekebu, je te tuerai.

La Commandante recule vers la porte.

— Il ne te suffit donc pas, dit-elle, d’avoir fait le malheur de toute ma vie ?

— Hors d’ici ! Hors d’ici !

Elle s’appuie contre le chambranle de la porte et l’ancienne malédiction de sa mère lui remonte aux lèvres : « Sois reniée comme tu m’as reniée. Que la grand’route soit ton refuge ; une gerbe de paille, ton lit. »

Le bon vieux pasteur de Bro et le juge de Munkerud s’approchent du Commandant. Pourquoi ne pas laisser dormir ces histoires d’autrefois ? Pourquoi ne pas oublier et pardonner ? Mais il secoue les épaules et repousse les mains conciliantes.

— Ce n’est pas une histoire d’autrefois ! répond-il avec rage. Je n’ai rien su !

Cependant la Commandante a repris son sang-froid.

— Tu sortiras d’ici avant moi, dit-elle. Aidez-moi, messieurs et amis, à lier cet homme jusqu’à ce qu’il ait retrouvé sa raison ! Rappelez-vous qui je suis et qui il est. Je dirige tout le travail d’Ekebu, pendant qu’il passe ses journées à regarder manger ses ours. Si je pars, une effrayante misère entrera derrière moi. Le paysan vit de ma forêt et de mon fer ; le charbonnier, de mon charbon ; le flotteur, de mon bois. Forgerons, menuisiers, charpentiers, je leur assure à tous le vivre et le couvert. Le croyez-vous capable de me remplacer ?

De nouveau, des mains se posent sur les épaules du Commandant. Mais il s’y dérobe d’un mouvement brusque :

— Laissez-moi ! s’écrie-t-il. Est-ce que vous voulez défendre et protéger l’adultère ? Si elle ne sort pas d’elle-même, je vous jure que je la jette à mes ours !