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Gösta et leurs compagnons, lampèrent à tour de rôle la boisson chaude et sucrée, jusqu’à ce que la marmite en chavirant les inondât. Ils se relevèrent en sacrant, mais le Diable avait disparu.

CHAPITRE III
LE DÎNER DE NOËL

Le jour de Noël la Commandante Samzélius donne un grand dîner à Ekebu. Elle préside à une table dressée pour cinquante hôtes, dans tout son éclat et sa magnificence. Plus de courte pelisse ni de bure rayée, ni de pipe en terre. C’est un frou-frou de soie autour d’elle : l’or surcharge ses bras nus, et de froides perles s’égrènent à son cou blanc.

Et où sont les Cavaliers ? Près du poêle. Ce jour-là, il n’y a point de place pour eux à la grande table. Les plats leur arrivent refroidis et les vins plus rares. Les coups d’œil des jolies femmes ne tombent pas sur eux. Personne n’entend les bons mots de Gösta. Mais les Cavaliers sont comme des chevaux domptés, des bêtes féroces rassasiées. La nuit ne leur a donné qu’une heure de sommeil. Ils sont partis pour la messe matinale aux lueurs des brandons et à la clarté des étoiles. Ils ont vu les fenêtres illuminées ; ils ont entendu les cantiques de Noël ; leur visage a retrouvé un instant son sourire enfantin, et le souvenir des fantasmagories de la forge s’est dissipé. Qui oserait lever la main et porter témoignage contre la Commandante ? Pas eux, sûrement. Elle peut bien les placer où bon lui semble. Elle peut même leur fermer sa porte. Que Dieu garde leurs âmes ! Ils ne sauraient vivre loin d’Ekebu.