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Et pourtant ce soir, aux flammes du punch, un frisson leur court sur la peau.

— Oui, continua le Diable, je lui ai donné ses sept forges contre une âme qu’elle me paie tous les ans.

Les Cavaliers se sentent de moins en moins à leur aise. En effet, tous les ans, à Ekebu, un homme meurt, un des hôtes insoucieux de l’aile du manoir… Qu’importe ? Comme Gösta l’a dit, les vieux papillons doivent savoir mourir… Mais qu’entendait-il par là, Gösta ?… Ah, si elle ne leur avait offert ses régalades et ses bombances que pour les faire trébucher plus sûrement de la salle d’orgie dans le feu de l’enfer ?… Malheur à cette sorcière ! Ekebu, où ils étaient arrivés forts et vigoureux, n’aurait donc été que le chemin et la porte de la damnation ! Leurs cerveaux y devenaient comme de vieilles éponges. Ils se coucheraient un jour sur le lit de mort, sans espoir et sans âme.

L’ivresse, jointe au sentiment obscur de leurbdéchéance, les aveugla.

— Plus de contrat ! s’écrièrent-ils. C’est elle qui va mourir !

Christian Bergh, le fort capitaine, empoigna le plus lourd marteau de la forge et jura qu’il l’enfoncerait dans la tête de cette damnée sorcière.

— Quant à toi, maudit cornu, hurla-t-il, nous commencerons par te clouer sur l’enclume ; et en avant le martinet !

Le Diable est lâche, on le sait depuis longtemps, et la menace de l’enclume lui déplut. Il arrêta le capitaine.

— Hé, là, cavaliers, fit-il, prenez donc les sept forges, prenez-les cette année et donnez-moi la Commandante !

— Assez de folie ! s’écria Gösta Berling. Est-ce que vous croyez à cette farce ? Ne mêlons pas la Commandante à cet absurde jeu, et n’oublions pas que nous avons bu sa bière et mangé son pain.

— Eh bien, sois au Diable alors, Gösta ! répliqua un Cavalier, mais laisse-nous régner sur les forges d’Ekebu.