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soit ouvert. On y vit sans semer ni filer. Ici les alouettes toutes rôties vous tombent dans la bouche : ici, la bière amère et l’eau-de-vie sucrée coulent à flots intarissables. Vous le voyez, Altesse : nous sommes douze, douze comme les Dieux Olympiens, comme les Chevaliers du Roi Arthur, comme les Paladins de l’Empereur Charlemagne — douze comme les douze oiseaux divins de la verte couronne d’Ygdrasil. Que dis-je ? Nous les avons été, ces Paladins, ces Chevaliers, ces Olympiens, ces divins oiseaux. Voici Thor, et voici Jupiter. Que de crinières de lions sous ces peaux d’ânes ! Quand nous y buvons, la forge est l’Olympe et l’aile du manoir le Walhalla. Mais nous n’étions pas au complet. Il en fallait un treizième, le Traître, le Félon, le Malin, l’Ennemi des Dieux, le Géant Loke !

— Belles paroles ! repartit le Diable. Mais je n’ai pas le temps de vous répondre. Les affaires, mes enfants, les affaires avant tout ! Je dois vous quitter un instant. Nous nous reverrons.

Les Cavaliers lui demandent où il va. Il leur répond que la noble Commandante, la maîtresse d’Ekebu, l’attend pour renouveler son contrat.

La Commandante est une rude femme qui vous charge sans effort un tonneau de seigle sur ses larges épaules. Elle accompagne ses convois de minerais des mines de Bergslagen jusqu’aux forges d’Ekebu. Elle dort des sommeils de roulier sur le plancher des granges avec un sac pour oreiller. L’hiver elle ne craint pas de surveiller une meule de charbon, ni l’été de suivre un radeau de bois sur le Leuven. Qui commande mieux qu’elle ? La Commandante jure comme un vieux troupier et règne comme un roi sur ses sept forges et sur les fermes de ses voisins, sur sa commune et sur les communes d’alentour, oui, sur tout le beau pays de Vermland. Mais pour les pauvres Cavaliers sans foyer elle s’est montrée plus douce qu’une mère, et ils ont toujours fermé leurs oreilles, quand la calomnie leur chuchotait qu’elle avait fait un pacte avec le Diable.