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rent un cri et sautèrent sur leurs pieds. Mais Gösta Berling, pris d’une joie délirante, s’écria :

— Il est venu, le Treizième ! Je bois au Treizième !

Il était là, le vieil ennemi des hommes, l’ami des sorcières, celui qui signe ses contrats avec du sang sur du papier noir, celui qui jadis dansa sept jours durant avec la folle comtesse d’Ivarsnœs et que sept prêtres ne purent exorciser.

Les vieux aventuriers vacillants eurent un instant de panique. Mais ils se rassurèrent à la pensée que le Diable, attiré par le cliquetis des verres, n’en voulait qu’à leur punch. Ils l’acclamèrent et lui mirent dans les mains une coupe de liqueur flambante. Bérencreutz lui proposa une partie de cartes ; le patron Julius, son répertoire de chansons, et Œrneclou osa parler à cette face de bouc des jolies femmes qui embellissent la vie.

Ô Cavaliers, Cavaliers, avez-vous oublié que c’est la nuit de Noël ? C’est l’heure où les anges du ciel chantent pour les bergers des champs, où les enfants luttent contre le sommeil de peur de manquer la messe matinale. Il sera bientôt temps d’allumer les cierges de l’église de Bro. Dans les fermes des bois, le jeune homme a préparé le brandon lumineux qui éclairera son amie sur la route de l’église. Dans toutes les maisons, les maîtresses ont posé derrière leurs fenêtres des chandeliers à trois branches, qu’on allumera quand passeront les gens de la messe. Le sacristain entonne dans son sommeil le cantique de Noël, et le vieux curé, qui ne peut s’endormir, s’essaie à chanter encore une fois pour ses paroissiens : Gloire au plus haut des cieux !

Cependant le Diable, appuyé contre le vieux carrosse et la tête superbement rejetée en arrière, porte, de sa main ornée de griffes, la coupe de punch à ses lèvres. Et Gösta le salue en ces termes :

— Altesse, nous vous avons longtemps attendu ici, à Ekebu, car c’est apparemment le seul paradis qui vous