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sont trop lourds pour leurs mains tremblantes, où les cartes se brouillent sous leurs yeux clignotants, que leur est la vie et que sont-ils à la vie ? Des treize qui fêtent la nuit de Noël aux forges d’Ekebu, il faut qu’il y en ait un à mourir. Mais chaque année un nouveau Cavalier remplira sa place et complétera notre cercle, un homme habile au violon, subtil aux cartes, expert dans le métier de la joie ! Les vieux papillons doivent savoir mourir avant que décline le soleil d’été. Camarades, je bois à la santé du Treizième !

— Mais, s’écrièrent les cavaliers sans toucher à leur verre, nous ne sommes que douze !

Gösta Berling, celui qu’on nomme le poète, bien qu’il n’ait jamais écrit un vers, continue tranquillement :

— Cavaliers et frères, ne vous souvient-il plus qui vous êtes ? C’est à vous qu’il incombe de maintenir la joie au pays du Vermland et d’y donner le coup d’archer qui précipite les danses. Vous tenez vos mains éloignées du travail ; vos cœurs, de l’or. Si vous n’étiez pas là, les bals, l’été, les roses, les cartes, les chansons, tout s’éteindrait dans ce pays de cocagne, où l’on ne verrait plus que du fer et des maîtres de forges. Voici la sixième fois que je célèbre la Noël sur cette terre d’Ekebu, et jamais personne ne refusa de boire à la santé du Treizième !

— Mais enfin, s’entêtèrent les cavaliers, nous ne sommes que douze ! Comment boire au Treizième ?

— Eh bien, s’écria Gösta, ce treizième, je l’appelle, puisque je me suis levé pour lui porter un toast ! D’où qu’il vienne, des profondeurs de la mer, des entrailles de la terre, du ciel ou de l’enfer, je l’appelle !

À ces mots, il se fit un bruit sourd dans l’énorme fourneau : la porte s’en ouvrit et le Treizième apparut. Longue queue, sabots de cheval, cornes à la tête, barbiche pointue, un corps de faune, le Treizième s’avança, et les Cavaliers, dont l’ivresse avait déjà mis l’esprit en déroute, poussè-