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Ah, si la Commandante les voyait ! Eh bien quoi ? Elle s’attablerait probablement avec eux et viderait un bol de punch. Une brave femme, la Commandante d’Ekebu ! Le tonnerre des chansons à boire ne lui ferait pas lâcher pied. Crâne comme un homme, fière comme une reine, elle aime le son des violons, les cors de chasse, les vins, les jeux, les tables pleines, un ruissellement perpétuel dans ses greniers de provisions, les danses folles dans ses grandes salles, les rires dans ses offices et le tumulte des Cavaliers dans l’aile de son manoir.

Ils sont là tous les douze installés autour de la chaudière. Pas de petits maîtres ni de jolis cœurs, ni de grippe-sous à face parcheminée, ni de hobereaux béats et pleutres ; mais de rudes gaillards dont la renommée n’est pas près de s’éteindre en Vermland, des Cavaliers, Cavaliers du matin au soir, officiers de fortune, nobles ruinés, aventuriers et fiers bohèmes. Ces hommes fameux savaient tous jouer d’un ou de plusieurs instruments ; ils étaient tous aussi riches en proverbes, joyeux propos et gais refrains, que la fourmilière en fourmis.

Cependant chacun d’eux avait sa spécialité, son trait distinctif. Le premier, Bérencreutz, le colonel aux grandes moustaches blanches, joueur comme les cartes, savait son Bellman par cœur. Près de lui, son ami et frère d’armes, le taciturne major et tueur d’ours, Anders Fuchs. Le troisième était le petit Ruster, le tambour, qui pendant longtemps avait été l’ordonnance du colonel, mais qui avait gagné le rang de Cavalier par son habileté à préparer le punch et par sa voix de basse. Plus loin le vieil enseigne Rutger von Œrneclou, l’homme aux bonnes fortunes, l’irrésistible, en perruque et en fraise, poudré, peint et parfumé, un des plus hardis parmi les Cavaliers. À ses côtés, Christian Bergh, le fort capitaine, héros de mille exploits, mais aussi facile à tromper que le géant des contes ; et un petit homme rond comme une boule, le patron Julius, boute en train, orateur, chanteur et merveilleux conteur.