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Voilà une table ! Hurrah pour la table ! La table est prête… Vite, des chaises maintenant ! N’importe quoi, pourvu qu’on puisse s’asseoir dessus. Prenons des escabeaux de cordonnier et des caisses vides. Cherchez les vieux fauteuils cassés, et tirez ici le traîneau de course sans brancard et le vieux carrosse ! Ha ! Ha ! Faites avancer le vieux carrosse : on en fera la tribune de l’orateur ! Il a une roue de moins, et de toute sa caisse il ne reste que le siège du cocher. Le coussin en est éventré ; la mousse qui le rembourre s’échappe, et l’âge en a roussi le cuir. La vieille guimbarde est haute comme une maison. Étayez-la, ou tout chavire !… Hurrah ! Hurrah ! c’est la nuit de Noël aux forges d’Ekebu !… »

Derrière les rideaux de soie du grand lit, le Commandant et la Commandante dorment et croient qu’à l’aile des Cavaliers on en fait autant. Les valets et les servantes dorment, alourdis de gruau, de riz au lait et de bière noire. Mais les Cavaliers ne dorment pas.

Dans la forge abandonnée, les forgerons aux jambes nues ne tournent pas les massiaux ; les garçons au visage noirci ne roulent pas les brouettes de charbon ; le grand marteau pend du toit comme un bras au poing fermé. L’enclume est vide ; les fourneaux ne demandent plus à manger en ouvrant leur gueule rouge. Le soufflet ne grince plus. C’est la Noël. La forge dort.

Dort ? Croyez-vous que la forge dorme quand les Cavaliers sont éveillés ? Ils ont fiché en terre les longues tenailles et planté dans les pinces des chandelles de suif. De la marmite en cuivre rutilant, qui ne contient pas moins de dix canettes, les flammes bleues du punch montent vers les ténèbres du toit. Une lanterne de corne est accrochée au martinet. Des liqueurs jaunes luisent dans les bols comme du soleil. Les Cavaliers fêtent la Noël avec des chants, des rires et du tapage. Mais ce vacarme de minuit ne réveille personne, car il se noie dans le grondement des eaux.