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Mais cette vie heureuse ne le satisfait pas. Il se ramasse, se creuse un chemin à travers des collines de sable, et, par ce long détroit, court à de nouvelles aventures. Il redevient grand et puissant ; il remplit des profondeurs infinies et baigne des terres laborieuses. Mais ses eaux s’assombrissent, ses rives sont moins variées, ses vents plus âpres, son caractère plus dur. Il porte des navires et des radeaux sans nombre, et ce n’est que bien tard, après la Noël, que ses vagues peuvent goûter le repos d’hiver. Souvent on le voit, farouche, écumer de colère et renverser les barques à voile ; mais souvent aussi, tranquille rêveur, il reflète le ciel.

Cependant il veut encore aller plus loin, malgré les montagnes plus sauvages et la place plus restreinte. De nouveau, il s’enfonce dans une étroite passe entre des berges sablonneuses ; et, pour la troisième fois, il s’étale, mais ce n’est pas avec la même beauté ni la même force. Sur ses rives basses et monotones soufflent des vents moins vifs. Et de bonne heure ses flots dorment leur sommeil hivernal. Il a perdu la fougue de la jeunesse et la vigueur de l’âge mûr. De ses deux bras il cherche à tâtons le chemin vers le Vœnern, cette mer intérieure, et du haut des rocs, avec un dernier bruit de tonnerre, il tombe dans le silence.

La plaine est longue aussi, longue comme le lac. Il ne lui est pas toujours facile de trouver un passage entre les flots et les montagnes. Elle s’y évertue, maigre bande de terre, depuis la source jusqu’à l’endroit où, victorieuse, elle se dilate et s’endort sur les rives du Vœnern. Elle ne demanderait pas mieux que de suivre les bords du lac. Mais les montagnes l’en empêchent. Les montagnes sont d’âpres remparts de granit, recouverts de bois, riches de mousses et de lichens, fendus de crevasses, malaisés à franchir, repaires des bêtes sauvages. On y rencontre souvent, entre deux crêtes allongées, des marais ou des étangs à l’eau sombre. Çà et là, une clairière où les